dimanche 28 septembre 2014

Au Revoir

Si vous m'avez suivi depuis 2009, 
vous allez lire cette page pour la quatrième fois !
L'Iran, le Tadjikistan, le Kirghizistan et maintenant l'Arménie 
sont tous différents.
Mais moi, je suis toujours le même...


Lorsque vous ouvrez ce blog, vous débarquez sur la dernière page. Evidemment, il  vaut mieux suivre d'emblée un fil chronologique. Alors, remontez le temps, utilisez la table des matières sur la colonne de droite, commencez par le chapitre 1 "Promesses et Réalités".


Le raisin qui figure sur les khatchkars 
en tant que fruit eucharistique 
ne sera jamais consommé avant sa bénédiction, 
le jour de l'Assomption.



Dommage ! Pour le "journal", maintenant c'est fini. Bon, ça va, il n'y manque pas un jour.
Bien sûr, je suis tenté de prolonger le voyage, posez-moi des questions ici, ou choisissez  ma messagerie à l'adresse :
pierre.hurteaux@gmail.com
Je sais bien que mon approche de l'Arménie est subjective, qu'il me manque quantité d'expériences, mais vous vous intéressez peut-être au même parcours que moi, lent et heureux d'un temps sans horloge.



Quoi qu'il en soit, j'ai fait tout mon possible pour témoigner des richesses humaines, naturelles et architecturales de ce pays, pour vous donner envie de vous y plonger avec la petite dose d'insouciance qui n'est pas une inconscience. 
Merci de m'avoir accompagné ! Je vous quitte, cela va de soi, devant les petites bougies jaunes et effilées, qui se sont éteintes pour un adieu au fond de cette niche.



La porte se ferme.
Mais l'an prochain, si Dieu le veut,
une autre porte s'ouvrira sur un pays voisin...

Les pays précédents ont aussi leurs journaux,
leurs photos et leurs illustrations acryliques :
L'Iran en 2009, http://www.lestroncsclairs.blogspot.com/
Le Tadjikistan en 2010, http://pamirapied.blogspot.com/
Le Kirghizistan en 2012, http://kirghizieapied.blogspot.fr/

Les mêmes en peinture : http://pierre.hurteaux.free.fr/

Le pays suivant, l'Albanie en 2016 :
http://albanieapied.blogspot.fr/
Et aussi "Chez Quentin, en Colombie" en 2017 :
https://kachikine.blogspot.fr/
Puis : Le Tibet en 2018 :
https://royaumedukham.blogspot.com/

28 : Simple ivresse

Malgré l'asphalte, je ne monte pas dans le tramway : mon guide "Le petit futé" affirme qu'ils ont été supprimés. Je crois halluciner, même si je n'ai rien bu, le tramway est peut-être virtuel. 
(J'en profite pour préciser dès maintenant que "je ne tiens pas très bien l'alcool", mais vous l'avez sans doute déjà compris).
Bref, le tramway part sans moi.


Yves J. me fait remarquer que "Le petit futé" est plus précis que moi : ce n'est pas un tramway, c'est bel et bien un trolleybus !
Il faut croire que j'hallucine même sur les photos...

Près de la place de France, la statue du peintre le plus célèbre d'Arménie veille sur la galerie libre en plein air qui réunit, tous les jours, les exclus des salons de peinture. Martiros Saryan n'a pas le regard indulgent et il semble plutôt énervé. Le sculpteur lui insuffle un génie dynamique bien réussi.




 Voici un marché aux fruits et légumes.




Pour vous, sur la place de la Liberté hier devant l'Opéra, je me suis laissé aller aux confidences :
Il y a grandes démonstrations cet après-midi à Yérévan : parties de volley mixtes, démonstrations de judo, majorettes, patinettes et patins pour les enfants, et surtout DÉGUSTATIONS gratuites !
J'ai commencé modérément : jus de fruits variés, yaourts aux coloris chimiques, fromages en cubes, saucisses au chocolat, et... j'ai pensé à Yvon : j'ai tenté un verre de bière...
(petite pause)
Ce sont des verres en plastique, mais ce sont des contenances de chopes. Je n'ai pas dit "la moitié", je ne sais pas, j'ai eu ma chope.
Et j'ai pensé à Marie-Hélène qui ne veut pas que je boive un verre comme je mange une tablette de chocolat : d'un coup.
Je n'ai pas que ça à faire, je bois d'un coup habituellement.
Ici le soleil tape. C'est comme ça à Yérévan, m'a expliqué ma logeuse, tant qu'elle n'a pas de rendez-vous sentimental. Oui, dès qu'elle en a un, il se met à pleuvoir, ça veut dire que Dieu n'est pas d'accord. Il y a des signes dans la nature qui sont des avertissements divins.

Pas d'avertissement divin pour moi. Le soleil tape. 
C'est bon le soleil qui tape sur les buveurs d'alcool ?
Le Dieu de ma logeuse dit oui.
Marie-Hélène dit : tout doucement, tout doucement.
Le verre est grand, c'est long à boire, ça m'impatiente.
Je bois d'un coup.
...
Le ciel est un peu contrarié. Une pimbêche m'interpelle.
En quelle langue ?
Au stade où j'en suis, je traduis toutes les langues. Babel, pour moi, c'est du passé antédiluvien. J'ai des dons.
Elle me dit, alors que je suis assis, évidemment debout c'est plus la peine, elle me dit :
"C'est quoi, ces verres qui traînent vides autour de toi, c'est quoi ce bordel, c'est quoi cette décharge publique ?"
(Je précise que, titubant ou non, je n'avais aucune responsabilité personnelle dans ce "bordel").

Vous savez ça maintenant que les filles bien pomponnées sont sur talons aiguilles, robes moulantes au ras des fesses, longs cheveux brillants et rouge à lèvres comme une invitation.
"C'est quoi tout ça, ma chérie, mais, c'est la nonchalance à la française, le sans souci, la tête qui plane dans les vapeurs, et les fleurs qu'on effeuille, et Rimbaud et moi, et moi et Rimbaud..." 
La vie est belle à Yérévan.
Elle a regardé son mec, bien cintré comme en Iran dans sa chemise dont tous les boutons font des festons, ça ne risque pas de m'arriver, tout flotte autour de moi, et elle lui dit : 
"Prend de la graine, mon amour, les français sont les maître, oui, les maître du monde et des femmes !"

Quel cinéma pour trois mots égarés ! Je n'en croyais pas mes oreilles, tout somnolant dans mon alcool. Ah oui ? C'est comme ça, faut baratiner et dire n'importe quoi avec assurance, sans papilloter des cils en plantant un regard fixe comme si c'était demain le Déluge.

Non, sous Ararat, ce ne sera plus le Déluge. 
Mais ce sera Babel ! 
Le don des langues, c'est comme l'amour éternel, ça ne marche qu'une fois.


Le marché le plus intéressant, le "Vernissaj", se tient samedi et dimanche dans une double allée proche de la place de la République. C'est une foire à la brocante et un marché de l'artisanat où l'on trouve de tout. Je vous laisse y faire vos emplettes pendant que je cherche quelques bijoux un peu plus discrets que la moyenne pour ma propre famille.







Les tapis du Qarabagh sont très prisés, si j'en crois les prix.







samedi 27 septembre 2014

27 : Tsariste, soviétique, contemporaine

Après les églises et les monuments, aujourd'hui je vous emmène visiter en ville, les immeubles d'époques différentes, les bâtiments officiels, les parcs, les statues et les jeux d'eaux.
En septembre sous le soleil la température est idéale pour se promener en chemise. J'ai beaucoup aimé Yérévan dont le centre de dimensions modestes permet facilement d'être parcouru à pied selon l'inspiration.


Yérévan est une ville en plein chambardement : vous lisez sur la photo le slogan qui clame que la modernisation ne doit pas s'effectuer au détriment des bâtiments historiques. L'interprétation de ce respect du passé peut sembler assez fantaisiste quand on découvre les chantiers.

 L'un des derniers immeubles intacts des années 1910-1915.

A part la mosquée bleue, les vestiges de la ville persane ont pratiquement disparu. Les plus anciens immeubles datent des dernières années de l'époque tsariste, le début du XX ème siècle. De style "nikolaïski", beaux et sévères, ils sont bâtis en tuf gris foncé dont la couleur tranche sur leur voisinage rose ou orangé. Pour moderniser le bâtiment, les pierres de l'époque coloniale russe sont numérotées une à une avant démolition puis plaquées respectueusement sur les nouveaux murs. L'aspect dans la rue est ainsi préservé. 
Il y a quand même un hic : Les immeubles modernes se doivent d'être hauts. Ils n'ont aucun scrupule à écraser de leurs façades plus élevées leurs vénérables ancêtres dans un style contemporain agressivement différent. C'est que le vénérable ancêtre n'a jamais plus de trois niveaux, ce qui n'est certainement pas rentable. Le résultat de cette superposition est rarement heureux.


Quand le verre prend le relai : 
architecture tsariste, soviétique et contemporaine. 
Pas si mal ! 
Dommage que les baies vitrées aient été "rectifiées" 
au second étage.


Là, l'ensemble est hideux à mes yeux. 
Imaginons le sans la couleur rose, 
ni les jardinières, ni les colonnes... 
Les pierres grises sont encore numérotées. 
C'est bien daté 2014 !

Heureusement, en Arménie les constructions soviétiques ne respectent pas les diktats de l'empire. La patte arménienne les a transfigurées, et donne tout son charme à Yérévan. Sur un schéma qui associe tuf, plein cintre, balcons, corniches et frises, tous les immeubles se différencient. Dans cet écrin raffiné, les avenues se parent d'arbres et de vignes qui grimpent à l'assaut des murs.  
Yérévan est vraiment une très belle ville !






De nombreux immeubles sont percés d'un passage menant aux arrière-cours qui peuvent tenir lieu de jardins. Ces passages où se tiennent souvent des échoppes sont toujours décorés de fresques colorées. Sur cette photo, un autre passage ensoleillé donne sur le trottoir opposé.



Les chantiers spectaculaires pullulent : les trois niveaux nikolaïski ne sont plus qu'un souvenir pour les architectes contemporains, mais le tuf, les arches, les corniches sont toujours là sur des hauteurs qui font impression par le nombre d'étages. Surtout si l'on ignore que la hauteur sous plafond a diminué de moitié.




J'ai été surpris par l'absence de règles de sécurité sur ce chantier ouvert au public. Les piétons déambulent au milieu des ouvriers, des matériaux, des machines, de la poussière et du tintamarre. Les vitrines luxueuses ont déjà ouvert leurs portes aux marques renommées de toute la planète
Cette avenue toute neuve se veut prestigieuse. Elle a été percée récemment pour réunir les deux grandes places de la ville du nord au sud. Comme il se doit elle a été baptisée l'Avenue du Nord et relie l'opéra sur la place de la Liberté aux ministères et aux musées sur la place de la République.


Les avenues  sont arborées et mènent aux nombreux parcs boisés où vous trouverez toujours un banc à l'ombre pour pique-niquer d'un chausson au fromage, aux légumes, à la saucisse, en écoutant les musiciens. Les musiciens ont parfois un piano en plein air qui les attend à vos côtés, et jouent à deux ou quatre mains.

 Voici le jardin des amoureux.

 Voici l'allée aux 2700 fontaines 
qui ont célébré l'anniversaire de la ville : 
une fontaine par année !



Les feux tricolores sont équipés d'un minuteur qui décompte le temps d'attente puis le temps de passage de façon très pratique. En ville les conducteurs sont très disciplinés. L’omniprésence de la police explique-t-elle cela ?

Ces jeunes garçons menaient une partie d'échecs acharnée. Ils surent se faire respecter quand un groupe voulut être photographié au milieu des pièces en les bousculant.



Je vous emmène maintenant place de la République. 
C'est une large place ovale de 14.000 mètres carrés 
dont Alexandre Tamanian a dressé les plans en 1924. 
Par son architecture, son rôle politique,
son animation favorisée par les bassins et les bancs accueillants,
elle est emblématique de Yérévan.

Au nord : les ministères

 Au sud-est : le siège du gouvernement

 
Au sud : la Poste centrale


A l'est : les fontaines chantantes
devant le musée d'Histoire et la Galerie Nationale




Je n'ai pas de photos du Matenadaran, l'institut des manuscrits anciens, dont les vastes salles et les séduisantes vitrines regorgent de parchemins, palimpsestes et incunables uniques au monde : 300.000 documents dont 17.000 manuscrits. Certaines œuvres perdues d'auteurs antiques sont ainsi connues par leur seule traduction arménienne. Les nombreuses enluminures, si séduisantes, bénéficient d'une visite individuelle en français qui maintient bien l'attention. La jeune et charmante guide m'a appris un mot français qui désigne le commentaire biographique que le copiste ajoute au manuscrit. J'ai oublié ce mot : qui saura le retrouver ?
C'est Kaloun qui a su : le mot est "colophon", du grec κολοφών "achèvement, couronnement".


Il reste de vieux quartiers modestes 
aux abords même du centre-ville, 
où il serait possible de voir encore 
quelques pans des murs de la ville persane.

Demain, nous irons aux marchés.


vendredi 26 septembre 2014

26 : La Tragédie et l'Espoir


LA TRAGÉDIE : LE GÉNOCIDE 
"La Grande Catastrophe"

Le génocide est défini comme l'extermination physique, systématique, intentionnelle et programmée d'un peuple en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales.

Le mont Ararat vu depuis le Mémorial du Génocide.

Séparé de Yérévan par les gorges du Hrazdan, le Mémorial du Génocide répond au mont, le "Mémorial du Déluge". L'un et l'autre sont ancrés dans le cœur des arméniens, omniprésents et éternels. Une œuvre d'Alexandre Spendarian, père de la musique classique arménienne, sacralise le lieu.
.


Le premier génocide du XX ème siècle a fait plus d'un million deux cent mille morts : les deux tiers de la population arménienne dans l'Empire Ottoman. Le tiers rescapé a fui en Iran, au Caucase, dans les Balkans et dans les provinces arabes. Le génocide avait été précédé, 20 ans auparavant, de massacres à grande échelle ordonnés par le sultan Abdülhamid II responsable de 200.000 morts. Sous le règne de son successeur, le sultan Mehmed V, les massacres d'Adana feront 30.000 morts, puis le triumvirat des "Jeunes Turcs" profitera de la Première Guerre Mondiale pour mettre en œuvre sa "solution finale".

L'organisation matérielle du génocide suit un plan établi qui ne laisse aucun doute sur les intentions des "Jeunes Turcs", ni sur l'ampleur du projet : recrutement de tous les délinquants élargis des prisons de l'Empire pour les basses œuvres, élimination initiale des élites stambouliotes, exécution sans délai des hommes valides, déportation planifiée des femmes, enfants et vieillards vers les déserts syriens, camps de regroupements échelonnés... sans parler des spoliations, exactions, tortures, viols, affamement...  Le gouvernement turc aura même l'audace de réclamer les primes d'assurance-vie. 
Le mobile avancé par les autorités sera la trahison de tout un peuple, femmes et enfants compris, sous prétexte que les arméniens du Caucase sont enrôlés dans l'armée russe, adversaire de la Turquie lors de la Guerre. La population arménienne est coupable de vivre séparée en deux sur une frontière entre belligérants.


Enver "Pacha" est ministre de la guerre de l'Empire ottoman. Germanophile après ses études en Allemagne, il engage son pays aux côtés des Puissances Centrales sans en avertir le sultan auquel il a retiré tout pouvoir, et crée l'Organisation Spéciale qui planifiera le génocide. Vaincu à Sarikamish par l'armée russe dans des conditions dramatiques, il en reporte la faute sur les arméniens.

En 1919-1920, les tribunaux turcs eux-mêmes condamneront à mort par contumace les dirigeants "Jeunes Turcs", Talaat, Enver et Djémal, responsables de la défaite et des massacres.

Ensuite, Mustapha Kémal prendra le pouvoir et la nouvelle république kémaliste parachèvera le nettoyage ethnique étendu aux grecs et aux assyro-chaldéens, dans une impunité jouant des rivalités est-ouest et des intérêts commerciaux.
Actuellement le négationnisme des gouvernements turcs qui s'obstinent dans un déni sans pudeur ne fait certainement pas honneur à ses tenants, mais il est courageusement contrebalancé par nombre d'intellectuels et artistes turcs qui militent pour la reconnaissance du génocide. Le 23 octobre 2014 des journalistes turcs sont ainsi reçus au Musée du Génocide.
Au jour où j'écris, la question se pose de savoir si "The Cut", le film de Fatih Akin sur le génocide arménien va vraiment sortir sur les écrans turcs. Qu'une date de sortie soit fixée est en soi un grand progrès.


La flèche de 44 mètres est en cours de restauration. 
Le musée lui-même est fermé pour travaux.

 La flamme éternelle est entourée de douze stèles de granit.
Le Mémorial est intemporel et ancré.
Le Mémorial est mon dernier monastère.


 

Voici le pin que François Hollande a planté le 12 mai 2014. Les présidents français ont contribué à peupler la forêt du Mémorial riche du passage de nombreux diplomates et dirigeants du monde entier. Dès 1965 l'Uruguay fut le premier pays à reconnaître le génocide, suivi de Chypre, la France le faisant en 2001. Trois pays européens vont plus loin en pénalisant le négationnisme : la Suisse, la Slovaquie, et la Grèce en 2014.

Carte des pays qui ont reconnu le génocide arménien
 d'une façon ou d'une autre
(loi ou résolution parlementaire).


L'ESPOIR : L'ENFANCE

Au fond des gorges que je traverse pour retourner en ville coule le Hrazdan dans un écrin de verdure.
Sa fraîcheur attire les flâneurs et les joueurs de cartes. 
Sur sa rive orientale un petit train, sa gare et sa voie ferrée amusent les enfants des écoles.
En franchissant la rivière sur la passerelle, avec leur insouciance, me revient l'espoir.



 








Comme les joueurs de cartes,
les joueurs de trictrac, eux aussi, s'installent où bon leur semble.